mardi 12 janvier 2010

Joël Fusil d'Ernst & Young apporte un éclairage sur la gouvernance et la transparence des associations



Expert-comptable et commissaire aux comptes, Joël Fusil est l’un des fondateurs du Département Organismes sans But Lucratif d’Ernst & Young créé il y a 15 ans. Ce département emploie aujourd’hui environ 50 personnes : professionnels du chiffre (experts-comptables, commissaires aux comptes), avocats et consultants. Les demandes du secteur associatif sont souvent mixtes, nécessitant pour y répondre des compétences multiples. Joël Fusil participe aussi aux travaux du groupe de travail « Associations/Fondations » de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes. Il apporte son éclairage sur le besoin de transparence financière, à l’heure où se multiplient des initiatives : règlement comptable sur le CER (compte d’emploi des ressources), débat sur la nécessité d’un label, arrivée de nouveaux opérateurs comme IDEAS ainsi que l’arrivée de site Internet comparateur d’OSBL faisant appel à la générosité publique.

Pourquoi l’entrée en vigueur du tableau emploi-ressources a été aussi longue ?

Joël Fusil : Les associations qui font appel à la générosité du public doivent produire à compter de l’exercice 2009 ce nouveau « compte d’emplois des ressources » (CER). L’obligation de produire ce CER est née de la loi du 7 août 1991(1) qui a fait l’objet d’un arrêté d’application le 30 juillet 1993(2). Mais depuis, aucun texte n’était venu préciser les modalités d’établissement du compte d’emploi des ressources. Les pratiques, en la matière, étaient peu homogènes même si le Comité de la Charte avait émis des recommandations à l’attention de ses adhérents. Un texte officiel était devenu nécessaire pour clarifier les règles de présentation du compte d’emploi des ressources tout en respectant les dispositions de la loi de 1991 et de l’arrêté pris en 1993.

Une ordonnance de simplification du droit des associations du 28 juillet 2005 a rendu obligatoire l’intégration du compte d’emploi des ressources dans l’annexe des comptes annuels. Dès lors, la profession comptable a jugé nécessaire de définir des règles relatives aux modalités d’établissement de ce tableau. C’est pourquoi le Conseil National de la Comptabilité a été saisi et l’avis qu’il a rendu est devenu applicable à compter de cet exercice par homologation du Règlement du Comité de la Réglementation Comptable n° 2008-12 du 7 mai 2008(3).

Le compte d’emploi des ressources doit théoriquement permettre de rendre compte de l’utilisation des fonds collectés parles organismes faisant appel à la générosité publique. Il doit notamment indiquer le montant des réserves collectées auprès du public et non consommées des exercices antérieures.

Néanmoins, il s’agit d’un texte de compromis, qui a fait l’objet de nombreux échanges techniques. In fine, le législateur n’a pas souhaiter imposer de règles strictes comme, par exemple, pour ce qui concerne la définition des missions sociales ou encore les règles d’affectation des coûts directs et indirects sur les différentes lignes des emplois, ces éléments devant faire l’objet d’une validation par l’organe d’arrêté des comptes. Il n’a pas été non plus précisé si les dons effectués par les entreprises doivent figurer sur la ligne «Ressources collectées auprès du public », la notion de « public » n’ayant pas fait l’objet d’une définition. Ces éléments ne constituent que quelques exemples des nombreuses difficultés rencontrées pour produire les données de ce nouveau tableau.

Le compte d’emploi des ressources doit permettre de décomposer la manière dont l’association utilise les fonds qui lui sont confiés et notamment ceux issus de la générosité publique, entre missions sociales, frais de recherche de fonds et frais de fonctionnement, en sachant que la méthode d’affectation des coûts à ces différentes lignes devra être pérenne. Le compte d’emploi des ressources se situe à mi-chemin entre un tableau de suivi comptable et un tableau de flux de trésorerie, ce qui le rend difficile à établir, lors du premier exercice d’application notamment.

Par ailleurs, aucun ratio n’est imposé ni la nécessité de produire les données comparatives de l’exercice N-1, ce qui aurait pourtant permis à tout lecteur d’observer les évolutions entre deux exercices.


Tout le monde a-t-il déjà défini la manière d’appliquer ce nouveau texte ?

Joël Fusil : Certaines associations ne sont pas encore prêtes pour répondre aux obligations de ce nouveau règlement comptable et n’ont pas anticipé les difficultés inhérentes à la construction du CER. Pourtant, ces nouvelles dispositions peuvent, par exemple, les contraindre à reconsidérer la structure même de leur comptabilité analytique. De plus, les modalités d’établissement du nouveau compte d’emploi des ressources doivent faire l’objet d’une validation par l’organe chargé d’arrêter les comptes. Un processus doit donc être rapidement mis en place rapidement pour ne pas risquer de retarder la clôture des comptes annuels de l’organisme.

Il convient également de rappeler que la notion d’appel à la générosité publique n’a pas, non plus, été définie, que certains OSBL n’ont donc pas conscience qu’ils sont visés par la loi de 1991 et qu’ils ont ainsi l’obligation de produire le CER. Il peut suffire d’une simple mention d’appel à la générosité publique sur le site internet de l’organisme pour créer cette obligation. Le risque de ne pas produire ce document, dans la mesure où il constituerait un élément significatif des comptes annuels, est de se voir refuser la certification des comptes par le commissaire aux comptes.

Ce nouveau tableau, qui offre une meilleure transparence, est-il suffisant pour comprendre le fonctionnement d’une association ?

Joël Fusil : Pour que le grand public puisse apprécier de façon suffisante ce qui caractérise la gouvernance, l’organisation et les missions réalisées par une association, il convier de compléter la lecture du compte d’emploi des ressources et de ses notes annexes et plus globalement des comptes annuels, par celle du rapport de gestion (parfois appelé rapport d’activité ou encore rapport moral et financier). Un solde élevé de réserves non consommées en fin d’exercice inscrit dans le CER peut ainsi se justifier par des engagements de financement pluriannuels concernant, par exemple, des actions de recherche médicale ou encore des actions développement dans des pays étrangers. Encore faut-il que des compléments d’informations soient fournis dans le rapport de gestion pour expliquer cette situation et éviter ainsi toute critique non fondée.
Certaines associations réfléchissent actuellement à l’élaboration d’un document de synthèse, qui comprendrait l’essentiel des informations indispensables à la compréhension de tout lecteur et notamment des donateurs.

Mais il convient de rappeler qu’il existe une certaine place à l’interprétation dans la mesure où une association dispose d’une marge de manœuvre pour affecter certains coûts. Par exemple, dans le secteur médico-social, une association qui emploierait un comptable dans chacun de ses établissements décentralisés, pourrait imputer leurs salaires correspondants soit en frais de fonctionnement, soit en missions sociales. L’option retenue pour la ventilation des frais directs et indirects peut modifier de manière significative le montant des différents postes d’emplois et, par voie de conséquence, l’information délivrée au donateur sur la destination des fonds utilisés. Un effort de pédagogie s’impose donc pour expliciter notamment la nature des charges affectées aux missions sociales et les règles d’affectation retenues afin de permettre, le cas échéant, une éventuelle comparaison avec une autre structure.

Faut-il prévoir un Label pour le secteur non lucratif ?

Joël Fusil : Depuis la loi de 1991 imposant l’établissement du compte d’emploi des ressources pour les organismes effectuant un appel à la générosité publique dans le cadre d’une campagne menée à l’échelon national, un certain nombre de textes est venu renforcer les règles de transparence dans les OSBL :
- l’obligation de communiquer les conventions impliquant des administrateurs ;
- l’élargissement du champ d’application de l’obligation d’avoir un commissaire aux comptes ;
- la nécessité de communiquer les rémunérations des trois plus hauts cadres dirigeants bénévoles ou salariés ;
- la publicité des comptes annuels et du rapport du commissaire aux comptes sur le site internet du Journal Officiel….

Par ailleurs, certains organismes ont proposé aux OSBL d’adopter un ensemble de règles de gouvernance et de transparence afin de préserver ou d’améliorer la confiance du donateur.
C’est le cas, par exemple, des associations adhérentes au Comité de la Charte du don en confiance qui doivent respecter une charte de déontologie pour obtenir l’agrément du Comité.
D’autres organismes, plus récemment créés, tentent également de promouvoir de bonnes pratiques de gouvernance dans le secteur associatif, sur la base de référentiels sensiblement différents.

Nous avons également vu naître des tentatives de noter les associations sur des sites internet, comme cela se pratique dans d’autres pays. Sont également apparues des organisations qui facilitent les dons en ligne en fournissant à l’internaute un certain nombre de données relatives aux OSBL qui ont accepté d’avoir recours à ce nouveau moyen de collecter des fonds.
Ce mouvement d’ensemble tend à accroître la masse d’informations, notamment financières, qui circule sur le monde associatif et sur ses principaux acteurs dans chacun des grands secteurs d’activités. Certaines initiatives ne sont pas toujours bien accueillies par les OSBL, notamment lorsque les données relatives aux à leur structure comprennent des erreurs ou encore lorsque les contrôles établis par certains organismes ne paraissent pas suffisants ou ne reposent pas sur des référentiels suffisamment élaborés pour donner une appréciation pertinente, juste, fiable, complète et indépendante.

C’est à tous ces qualificatifs que devrait répondre un éventuel label. La détermination du référentiel de critères à respecter et la qualité des contrôleurs en charge de leur vérification devraient être, pour le moins, définis par une autorité reconnue et compétente. Cependant, le dispositif global actuel semble déjà pouvoir contribuer à créer la confiance que recherche les donateurs et autres bailleurs de fonds si chacun des acteurs : organismes sans but lucratif, législateurs et contrôleurs appliquent ou font appliquer les règles existantes.
L’évaluation des actions menées peut également constituer un des éléments contributifs d’une meilleure compréhension des missions réalisées par les OSBL et de leur impact tant économique que social, tant quantitatif que qualitatif. Cette démarche, encore peu exploitée dans certains secteurs associatifs, mérite d’être développée. La communication des résultats issus d’un processus d’évaluation permettrait ainsi de mieux répondre à l’objectif de transparence globale recherché.

Les associations ont-elles viré leur cuti vis-à-vis du secteur privé ?

Joël Fusil : La Responsabilité Sociale de l’Entreprise a favorisé la rencontre entre entreprises et associations, les secondes pouvant indéniablement aider les premières à progresser sur certaines thématiques, comme par exemple celles relatives à la protection de l’environnement et au développement durable. Certaines associations agissent parfois comme de véritables prestataires de services, avec une connaissance de certains sujets que l’entreprise ne possède pas. Cette rencontre conduit notamment les associations à se professionnaliser et à recruter de nouvelles compétences dans le secteur marchand. Ce rapprochement peut expliquer en partie les niveaux de salaires constatés au sein du secteur non marchand, de moins en moins éloignés de ceux du secteur marchand, ce qui peut d’ailleurs provoquer ici ou là un certain émoi de la part de certains donateurs.

Mais il convient de rappeler que les missions exercées par une association ou une fondation peuvent être tout aussi complexes que celles d’une société commerciale, voire parfois plus complexe et, que pour les mener à bien, il est nécessaire de recruter les compétences adéquates et mettre en place une organisation capable de gérer des activités multiples, décentralisées en France ou à l’étranger, de solliciter de nombreuses sources de financements et de rendre compte dans des formats spécifiques à chacun des bailleurs de fonds.

Pour faire face à ces exigences et pour pérenniser leurs actions, les organismes sans but lucratif, en quête de ressources, rivalisent d’imagination pour attirer de nouveaux donateurs, ce qui a permis à des sociétés spécialisées en communication et en recherche de fonds d’éclore. Il existe un potentiel de levée de fonds auprès des donateurs, puisque, par exemple, selon des études récentes, seul un Français sur deux donne aujourd’hui.

Là encore, les techniques adoptées pour capter ce potentiel de ressources diffèrent peu de celles adoptées par des entreprises du secteur marchand.

Les conséquences de ce rapprochement : importance des frais de fonctionnement, recrutement de salariés mieux rémunérés, évolution des coût de collecte de fonds, recours au financement privé, vont pousser les associations à informer précisément leurs donateurs actuels et potentiels sur leurs particularités , leur mode de fonctionnement et les moyens qu’ils doivent consacrer aux fonctions support (direction financière, direction des ressources humaines, direction informatique, direction logistique ou opérationnelle, contrôle de gestion et audit interne…) pour assurer pleinement leurs missions principales.

Quelles seront les conséquences des attentes d’un plus grand professionnalisme des bailleurs de fond ?

Joël Fusil : La frontière entre les deux mondes (celui de l’entreprise et le monde associatif) tend, sur certains aspects, à s’effacer. Nous le constatons par exemple dans les conventions de mécénat ou de partenariat liant les OSBL aux entreprises donatrices. Ces conventions permettent de définir précisément le rôle de chacune des parties contractantes, en cohérence dans les buts recherchés d’une part et d’autre ainsi que les actions de communication qui vont en découler de cette collaboration.

Ces conventions sont de plus en plus développées, précises et sont généralement rédigées par les juristes d’entreprises qui souhaitent prévenir tout risque lié à la relation établie avec l’OSBL.

Quels sont les débats en cours sur la mission des associations ?

Joël Fusil : La grande question aujourd’hui est celle de l’évaluation des missions réalisées par le secteur associatif. Les outils d’évaluation sont encore peu nombreux ou peu aboutis mais la pression des bailleurs de fonds est insistante et grandissante. Des débats s’ouvrent, par exemple, sur le fait de savoir si ces évaluations doivent être réalisées en interne ou bien par des contrôleurs externes. L’évaluation est une notion qui doit être partagée par les différentes parties prenantes : bénéficiaires des actions, organismes opérateurs, bailleurs de fonds privés et publics et doit permettre à chacun de tirer des conclusions sur l’adéquation entre les ressources collectées, les actions menées dans le cadre des missions statutaires et les résultats obtenus.

Pour aller plus loin :

Modalités de présentation du Compte Emploi Ressources (CER)
http://www.coordinationsud.org/spip.php?article11950

Comité de la Charte du don en confiance
http://www.comitecharte.org/

Youphil : où vont les dons des particuliers ?
http://www.youphil.com/en/node/1290

Les principaux textes de référence :
(1) Loi n°91-772 du 7 août 1991 relative au congé de représentation en faveur des associations et des mutuelles et au contrôle des comptes des organismes faisant appel à la générosité publique
(2) Arrêté du 30 juillet 1993 portant fixation des modalités de présentation du compte d’emploi annuel des ressources collectées auprès du public par des organismes faisant appel à la générosité publique
(3) Arrêté du 11 décembre 2008 portant homologation du règlement n° 2008-12 du 7 mai 2008 afférent à l’établissement du compte d’emploi annuel des ressources des associations et fondations

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