jeudi 25 novembre 2010

Quand l’Etat va plus loin que les analystes ISR



Le réservoir d'une usine d'aluminium à Ajka en Hongrie s'est rompu et a déversé, le 4 octobre dernier, quelque 1,1 million de mètres cubes de boue rouge toxique sur les sept villages avoisinants, faisant 10 morts et 150 blessés. L'usine d'Ajka datait de 1943. Elle avait été rachetée par MAL dans les années 90 après l’effondrement du régime communiste. Son manque entretien a été évoqué par le secrétaire d'Etat à l'environnement, Zoltan Illés, qui estime « que la cause de l'accident était dûe à la surcharge des réservoirs ».

En avril dernier, l'explosion de la plate-forme Deepwater Horizon a causé la mort de 11 travailleurs et entraîné la pire marée noire de l'histoire des États-Unis. Cité par l’AFP, l'ex-pdg de BP, Tony Hayward, a admis ce mois ci que la compagnie pétrolière n'était pas préparée à un tel désastre. La compagnie aurait même failli faire faillite, alors que ses sources de crédit se sont évaporées. Dans une entrevue à la BBC, M. Hayward soutient que les plans d'urgence de la compagnie étaient inadéquats et que la direction effectuait de la gestion au jour le jour. Ces deux scandales, qui ont causé des morts, pose la question de la responsabilité, alors que 2010 est l'année de la biodiversité.

Un article récent de ParisTech, dont les références figurent en annexe, met en évidence certains effets pervers liés à la recherche des profits à court terme. Les allègements d’actifs peuvent pousser à un recours croissant à la sous traitance, avec des risques sur la sécurité.

Diane-Laure Arjaliès
a ainsi réalisé une thèse en s’appuyant sur les observations faites en tant qu’analyste spécialiste de l’Investissement Socialement Responsable à la MACIF. Le secteur pétrolier illustre bien certains travers. «Depuis plusieurs années les analystes ISR avaient repéré des risques sur les plates-formes de BP. Mais lorsqu’un analyste va voir son supérieur, ce dernier lui demande « quel est l’impact potentiel? » A l’époque, les provisions pour risque étaient limitées à cause du plafond de 75 millions de dollars. Difficile dans ces conditions d’argumenter sur la dangerosité d’investir dans une entreprise qui enregistre par ailleurs d’excellents résultats financiers. Pour convaincre les financiers, il faut des chiffres».

Sans compter qu’il est compliqué pour un gérant de s’écarter trop fortement du secteur des industries extractives, qui représentent un poids prépondérant dans la plupart des indices. Des valeurs de fond de portefeuille réputées incontournables. Un secteur aussi considéré comme stratégique, puisque le patronat britannique, les fonds de pension et d'autres groupes d'actionnaires ont réclamé en juin dernier de Cameron qu'il prenne la défense de BP face aux critiques d'Obama qu'ils jugeaient trop sévères. Un Etat qui vient donc aux secours d’actionnaires, qui ignoraient visiblement les risques de l’exploitation pétrolière, sans doute trop concentrés sur les cash flow.

Dans ces conditions, l’absence de mesure de sécurité faisait peser davantage de risques en termes d’images qu’en termes de pénalités, liées à la réparation du préjudice. Pourtant, la forte réaction de l’opinion américaine et l’intervention des politiques ont placé BP sur des charbons ardents. L’action de la pétrolière cote d’ailleurs actuellement 437 pence au London Stock Exchange (LSE) après avoir touché un plus bas annuel de 296 pence au milieu de la crise le 25 juin contre environ 645 euros en avril 2010.

Une autre entreprise que BP aurait sombré avec la plateforme. Le pétrolier britannique a tout de même annoncé un bénéfice net de 1,8 milliard de dollars au troisième trimestre 2010, après une perte de 17 milliards de dollars au second trimestre. Ce regain de vitalité ne devrait pas cependant laisser croire qu’il s’agit d’un retour au business as usual.

La sanction financière à laquelle doit faire face la pétrolière pourrait finalement permettre au une meilleure prise en compte du risque environnemental. Et, il sera désormais moins facilement pour un investisseur, qui plus est ISR, de faire la sourde oreille sur ce thème.
Ikea a lui aussi été condamné en juin dernier pour destruction d'espèces animales et végétales protégées lors de la construction d'une plateforme à Fos-sur-Mer. L'affaire BP met surtout en évidence le rôle de l’Etat, seul apte à fixer des règles indispensables et à obtenir des compensations de la part d’une multinationale prise en faute, là où la justice peut prendre des années, comme on l’a vu avec Bhopal ou Exxon Mobil.

Dans le Rapport sur la responsabilité sociale des entreprises, (mars 2004), dont les travaux ont été présidés par Elisabeth Dufourcq, avec comme rapporteur Geneviève Besse, il est dit que «L'entreprise est tenue d'être attentive aux intérêts légitimes des différentes parties prenantes. La RSE est ainsi un mode d'autorégulation de la société mondiale, qui supplée le manque de régulation institutionnelle de la mondialisation" Néanmoins, la société civile a tout intérêt à travailler et dialoguer avec l’Etat, qui conserve un fort rôle régulateur et protecteur. Et à participer à l’élaboration des nouvelles normes ou régulation, comme dans le cas des dérives du secteur financier et les paradis fiscaux.

S’il est définitivement voté, le Clean Energy Jobs and Oil Company Accountability Act pourrait introduire de nouvelles contraintes pour les forages en mer, notamment dans la lutte contre la corruption. Les associations écologiques, comme la Surfrider Foundation, maintiennent la pression.

GOP Backs Big Oil Bailout as Democrats Fight for Jobs & BP Accountability



Jusqu’ici, les efforts des analystes ISR, qui tentent d’influencer les gérants, n’avaient pas permis d’en améliorer la sécurité. La différence entre les différents types d’intervenants, c’est que l’Etat américain est intervenu à chaud, alors que les ONG et les gestionnaires ISR ont largement un rôle préventif, plaidant en général pour l’amélioration continue des normes et une prise en compte de toutes les parties prenantes, même en l’absence de catastrophe. Sur d’autres thèmes, comme la gouvernance, des investisseurs comme la Fondation Ethos ont remporté récemment des batailles significatives, notamment contre le groupe bancaire UBS.

Dans cette quête, qu’elle soit environnementale ou sociale (réduction des exclusions), l’Etat a bien un rôle à jouer. Pour un responsable d’une ONG française, qui a l’habitude de dialoguer avec les entreprises, que j’ai rencontré, le dialogue associations/entreprises doit être complété. «Il est devenu indispensable d’y joindre une troisième partie prenante, les pouvoirs publics. De plus en plus d’actions sont en effet menées au niveau territorial, même en France, parfois en milieu rural ou en banlieues. Les mairies, les associations locales, les PME se retrouvent ainsi concernées au côté des grands réseaux traditionnels. Il convient d’être au plus près de la réalité. De même, certains projets ne peuvent être menés à bien qu’à l’échelle de l’Union européenne

Dans un point de vue dans le Monde du 7/09/2009, Chantal Jouanno en appelait à renforcer la démocratie. La recette, «c'est développer la concertation à cinq. C'est renforcer nos syndicats et nos associations environnementales. C'est imaginer un Conseil d'Etat chargé de valider la soutenabilité environnementale des projets. C'est aussi une Organisation mondiale de l'environnement aussi puissante que l'Organisation mondiale du commerce (OMC). De simples pistes de réflexion pour l'avenir. »

Pour aller plus loin :

Paris Tech Review. 1/10/2010 Le chemin de croix de BP, amorce d’un changement pour la politique environnementale des entreprises?
http://www.paristechreview.com/2010/10/01/bp-changement-politique-environnementale-entreprises/

Zegreenweb : BP a improvisé
http://www.zegreenweb.com/sinformer/nature-voyage/maree-noire-bp-a-improvise,18230

Actu Environnement. 2/08/2010 : USA : les députés renforcent la réglementation pour les forages offshore
http://www.actu-environnement.com/ae/news/projet-loi-maree-noire-deputes-americians-10797.php4

Détournement du logo BP
http://www.greenpeace.org/usa/en/news-and-blogs/campaign-blog/vote-for-the-new-face-of-bp/blog/26103

Stop Oil Spill !
Surfrider demande la suspension immédiate de toute nouvelle construction de plate-forme pétrolière offshore tant que des normes de sécurité suffisantes ne s'imposeront pas aux installations offshore.


Novethic. 8/06/2010 : Bhopal, 25 ans après
http://www.novethic.fr/novethic/entreprise/impact_local/sites_et_riverains/bhopal_25_ans_apres/122499.jsp

SwissInfo. 15/04/2010. Pas d’absolution pour l’ancien management d’UBS
http://www.swissinfo.ch/fre/Dossiers/La_Suisse_et_la_crise_financiere_mondiale/Actualites/Pas_d_absolution_pour_l_ancien_management_d_UBS.html?cid=8669886

Le pouvoir des les Sœurs Dominicaines de Sinsinawa
http://ong-entreprise.blogspot.com/2009/07/dix-ans-de-presence-des-autochtones-aux.html

BP Spills Coffee - Une parodie de la réaction de BP qui a détruit toute tentative de communication de crise


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire