mercredi 9 mars 2011

Les associations sont des machines à fabriquer des héros


De nombreuses associations sont issues du génie et du courage d’un être humain exceptionnel. Mais, très tôt, l’effort de ces pionniers a souvent été récompensé.

Le chemin tracé par Henry Dunant, qui était un homme d’affaire, préfigure bien le fonctionnement à venir des ONG à la fin du XXème siècle. Il obtint en janvier 1860 (en même temps que le médecin genevois Louis Appia), l'Ordre de Saint Maurice et Saint Lazare de la part du roi d'Italie Victor-Emmanuel II.

Puis, le Prix Nobel de la Paix en décembre 1901, neuf ans après sa mort. Ce prix avait été imaginé par un richissime industriel suédois désireux de développer la civilisation et d’encourager les efforts en faveur de la paix. L'opinion publique de l’époque avait attendu les noms des lauréats avec la plus grande impatience, d’autant que la valeur du trophée atteignait alors plus de 100 000 francs. Bien plus tard, plusieurs ONG recevront à leur tour ce prix, preuve du travail accompli et d’honorabilité.

Aujourd’hui, d’autres chevaliers symbolisent les héros des temps modernes. L’Abbé Pierre et Sœur Emmanuelle font ainsi figure d’icônes. Ils ont réussi à faire bouger les lignes. La figure de l’Abbé Pierre a même fait l’objet d’une iconographie par Roland Barthes en 1957.
« Le mythe de l'abbé Pierre dispose d'un atout précieux : la tête de l'abbé. C'est une belle tête, qui présente clairement tous les signes de l'apostolat : le regard bon, la coupe franciscaine, la barbe missionnaire, tout cela complété par la canadienne du prêtre-ouvrier et la canne du pèlerin. Ainsi sont réunis les chiffres de la légende et ceux de la modernité. »
Les parcours de nombreuses figures associatives deviennent même des sagas. Dans la nuit du 21 au 22 janvier dernier, la Fondation Abbé Pierre et JonOne, figure de proue du «Street Art » parisien, a rendu hommage à l’Abbé, au 4ème anniversaire de sa mort. L’artiste graphiste new-yorkais JonOne a mis en scène l’appel de l’hiver 54 dans une fresque murale urbaine. Pour faire résonner ce cri d’alarme, la Fondation Abbé Pierre, l’artiste et BDDP Unlimited se sont associés à la maison de production Cosa pour concevoir un clip de cet événement, mis en musique par le compositeur Jean-Gabriel Becker.


JonOne / Abbé Pierre - Recall from BDDP Unlimited on Vimeo.

Cinquante ans plus tard, en novembre 2004, dans un document dénommé «les ONG et la Diplomatie », Michel Doucin notait que les médias catalysent l’émergence de ces nouveaux héros:
« L’opinion publique, s’appuyant sur la presse, identifie généralement les ONG aux seules internationalement célèbres, héros des temps modernes souvent incarnés dans une personnalité charismatique, défenseurs des valeurs communes à l’humanité… »
Ce phénomène contribuerait à limiter à quelques dizaines le nombre de personnalités susceptibles de capter l’attention.

Pour Michel Doucin, «Ce petit nombre d’élues a un caractère quasi transcendantal, conquis à la faveur de combats bibliques entre ces « David » et les « Goliath » (image récurrente sous la plume de certains journalistes) que sont les Etats et les quelques organisations multilatérales qui incarnent le cynisme des relations internationales : FMI et OMC au premier chef. »

Lors de son passage à Paris en février 2010, Muhammad Yunus a été baptisé «super-héros des temps moderne » par Youphil, le site Internet de référence dans le domaine de la solidarité. Une popularité qui a même fini par être considérée comme dangereuse par les autorités bangladaises, qui cherchent à le marginaliser et le discréditer.
Le magazine d’actualités Newsweek datant du 23/10/2007 s’est intéressé à José Bové. Le titre de l’article est flagrant : “Jose Bove: From Prisoner To Superstar”. De son côté, la fondatrice britannique de The Body Shop, « Dame Anita Roddick », a même été qualifiée par la presse de «Mère Theresa du capitalisme ».
Héroïsation et martyrisation peuvent permettre à une ONG de faire les manchettes, même si de nombreuses associations plus discrètes et moins revendicatives ne sont pas pour autant inactives. Les entreprises sont aussi séduites par ces personnages hors normes. Randy Hayes, leader de Rainforest Action Network, a été sanctifié par un constructeur automobile. Il figure ainsi dans la liste des personnes remarquables du « Volvo for life Awards Heroes », qui proposait sur son site de cliquer sur un héros pour lire son histoire. Concernant Hayes, il est indiqué qu’il a souvent agi « au prix d’un risque personnel élevé ». Parmi le jury ces dernières années, ont figuré des personnes connues comme le Senator Bill Bradley, Richard Brandson, Caroline Kennedy ou encore l’astronaute le Dr. Sally Ride.

L'association Max Havelaar et le label du commerce équitable sont nés en 1988 aux Pays -Bas. Le premier café portant le label Max Havelaar vendu en Europe est issu de la coopérative caféicole mexicaine UCIRI, où travaillait le prêtre-ouvrier Francisco VanderHoff, fondateur du label. Max Havelaar tire son nom d’un héros de roman anticolonialiste publié en 1860 à Amsterdam, rédigé par Eduard Douwes Dekker. Il raconte l'histoire d'un fonctionnaire colonial néerlandais qui se révolte contre l'oppression que subit le peuple javanais dans des Indes néerlandaise, une colonie des Pays-Bas. Max Havelaar déclenchera un mouvement d'opinion progressiste aux Pays-Bas, soucieux d'améliorer le sort des indigènes.

Mais, le monde associatif propose également à tout à chacun de devenir un héros, dans sa vie quotidienne, en recyclant ses déchets, voire en donnant son temps dans du mécénat de compétence. Un véritable creuset d’initiatives.

L’association californienne Rainforest Action Network a conçu très tôt des kits de parfait militant pour les enfants. Sur son site, le « Kid Corner » était tellement visité qu’il est devenu un site à part entière (www.rainforestheroes.com). En 2003, les jeunes militants héroïques, « young rainforest heroes », ont réussi à lever 40.000 dollars.

Dans les Héros de la biodiversité, Allain Bougrain-Dubourg donne ainsi la parole à ceux qui s'investissent avec détermination pour inverser la tendance. Scientifiques, membres d'associations ou simples "écocitoyens", ces braves ont tous une histoire à raconter, à la fois dans un livre (Editions Ouest France) et dans une série de programmes courts, en partenariat avec Océanopolis Brest et Suez Environnement.

Tu peux faire une différence. Sois un héros. Québec. (juillet 2009)

En Argentine, l’emprisonnement de la directrice de Greenpeace, Eugenia Testa, en photo tout en haut à gauche de la page, et de 50 activistes engagés contre le lobbying de l’entreprise minière Barrick Gold a pris une telle ampleur sur les réseaux sociaux que les autorités ont rapidement relâché les manifestants. En débat, la pression exercée par la multinationale afin d’empêcher l’application de la loi de protection des glaciers. Des internautes qui participent à l’Histoire.

Les militantes ne sont pas en reste, comme Hunter Lovins, auteure du Natural Capitalism. Elle est récipiendaire de distinction comme le Right Livelihood Award, communément appelé en français « prix Nobel alternatif », et encore le Lindbergh Award and Leadership in Business. Elle a également été nommée par Time Magazine en 2000 « Héroïne de la planète ».

D’autres activistes ont aussi fait la une des journaux comme Tamsin Omond de Plane Stupid au Royaume-Uni ou encore l’Américaine Julia Butterfly Hill, qui a vécu crânement deux ans dans les arbres, comme le Baron Perché, pour lutter contre la déforestation de la Pacific Lumber Company.

D’un point de vue financier, un leader charismatique constitue un atout pour collecter des fonds, quitte à ce que des spécialistes soient recrutés pour professionnaliser l’association et répondre avec précision aux exigences de mesure d’impact des bailleurs de fonds. Aujourd’hui, les gestionnaires sont devenus incontournables. Mais, il est aussi possible de faire appel à d’autres héros, les peoples, issus du sport ou du show biz, si le leader de l’ONG n’est pas très connu ou pour continuer à susciter l’intérêt.

Portée à outrance, la personnalisation des associations peut présenter des risques, notamment lorsque le personnage central de l’ONG ou de la Fondation se révèle peu scrupuleux, comme dans le scandale de l’ARC (Jacques Crozemarie). 


Il faut aussi réussir à poursuivre la tâche, lorsque des pionniers comme Lino Ventura, l’Abbé Pierre ou Coluche disparaissent. Un vaste réseau de bénévoles peut aussi permettre de bien relayer le message d’une association.

Pour aller plus loin :

Extrait de l’"Iconographie de l'abbé Pierre", tirée de "Mythologies" de Roland Barthes. Edition du Seuil.

L'analyse de Michel Doucin
http://www.dauphine.fr/globalisation/doucin.pdf

Green et Vert (7 mars 2011) Greenpeace a pu compter sur les internautes pour protéger les glaciers
DeforestACTION. Become an Action Hero in Borneo
http://www.tinygreenbubble.com/eco/environmental/item/1600-become-an-action-hero-in-borneo
21/12/2009 Isabelle Autissier a été élue, à l’unanimité présidente du WWF-France.
http://www.wwf.fr/s-informer/actualites/isabelle-autissier-a-ete-elue-a-l-unanimite-presidente-du-wwf-france

Un film héroïque sur le bégaiement (25/01/2011): “Stuttering Foundation Gives The King's Speech a Hero's Welcome”
http://www.prnewswire.com/news-releases/stuttering-foundation-gives-the-kings-speech-a-heros-welcome-114567269.html

La Course des Héros

Dans un autre domaine, Joseph Stiglitz, économiste américain, l’un des principaux représentants du courant néokeynésien, dont les théories et prises de positions font le héros des mouvements altermondialistes.

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