jeudi 13 octobre 2011

Retard du secteur minier vis-à-vis des attentes de ses parties prenantes







Novethic et Be-Linked ont publié début septembre une étude intitulée « Secteur minier coté et risques Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) ».


Dans le détail, elle traite de l'influence des ONG sur l'activité et la réputation des entreprises minières. L’étude analyse également la qualité de la communication des 23 groupes miniers cotés sur les marchés européens concernant les enjeux ESG auxquels ils sont confrontés.

Moins une entreprise est transparente, plus le soupçon augmente d’éventuelles prises de risques inconsidérés et du non respect des conventions internationales en vigueur. Une situation où il devient périlleux de se faire un jugement sur son degré de responsabilité et la nature des profits pour un investisseur ISR.
Certains abus dénoncés par les associations constituent autant de vulnérabilités potentielles concrètes pour les actionnaires et les gestionnaires d'actifs. L’intérêt d’un panorama sectoriel est de pouvoir comparer entre elles des entreprises soumises au même environnement. Des firmes qui doivent gérer des contraintes similaires, souvent complexes et impliquant de nombreuses parties prenantes.

Ce rapport constate que les relations des entreprises minières avec les ONG (droit de l’homme, environnement, corruption) sont plutôt conflictuelles. Il faut dire que les risques liés aux activités extractives sont légion :
  • Environnement : pollutions, contaminations, destruction de la biodiversité, concurrence pour l’accès à l’eau, émission de gaz à effet de serre,…
  • Sociétaux : impact sur la santé, sur l’agriculture, atteintes aux droits de l’homme, implication dans des conflits armés, déplacement de populations, accaparement de la terre, recours à des forces de sécurité,…
  • Gouvernance : financement, corruption, risques juridiques ; évasion fiscale,…

Les experts de Novethic et de BeLinked estiment que les entreprises du secteur minier auraient tort de négliger les impacts environnementaux et sociétaux, directement liés à leur activité. Ils concernent notamment les questions de la répartition des richesses, de l’intégration dans les territoires et du respect des cultures locales.

Même si les entreprises minières qui vivent dans une Tour d’ivoire dégagent des rentabilités record à court terme très appréciées, elles s’exposent selon eux à une remise en cause de l’octroi des droits d’exploitation des sites, à la possible difficulté d’obtenir des financements publics et à la pression des ONG.

Sur une grille d’évaluation de 18 critères, les entreprises minières les plus opaques engagement philanthropique peu ou pas documenté ») sont Kazakhes (ENRC, Kazakhmys) et Russes (Evraz, Severstal).

Mais, c'est Glencore (Jersey) qui symbolise ce mutisme, une entreprise apatride dont les méthodes sont unanimement dénoncées, notamment par Sherpa, Action de Carême et la Déclaration de Berne.


Glencore from Patrick Clair on Vimeo.


Reste à savoir quelle est la perméabilité des investisseurs à ces thèmes. Le chiffre d’affaires de Glencore a augmenté de 32% au cours du premier semestre 2011 pour atteindre 92 milliards de dollars avec un profit semestriel qui a plus que doubler pour se hisser à près de 2,5 milliards de dollars. La société vient de lever des fonds importants malgré la crise. Elle se retrouve faiblement endettée et en position de multiplier les acquisitions. Glencore semble avoir acquis une forte crédibilité dans la communauté financière, sans avoir besoin de réagir outre mesure aux accusations de la société civile.

Les auteurs de l’étude prônent pourtant une autre voie pour les financiers, qui « consisterait, à l’inverse, à favoriser les entreprises qui peuvent avoir parfois une rentabilité immédiate moins forte mais qui limitent leurs risques ESG.» Une information corporate de qualité sur ces critères est indispensable pour séduire les investisseurs responsables. Quitte à ce que ces derniers les interrogent pour obtenir des réponses précises sur les points qui méritent une attention particulière.

Sur ce chemin de progrès, les ONG sont parfois identifiés comme des partenaires pouvant apporter des expertises sur des territoires et des populations. Mais, l’étude fait ressortir que les quelques partenariats existants sont souvent mal valorisés, mal expliqués et insuffisamment connus.

Avec ou sans les ONG, les acteurs du secteur minier doivent s’engager sur une feuille de route. Mais, l’affichage d’engagements volontaires sectoriels ne suffit pas.

« Une fois qu’elle a adhéré à un ou plusieurs référentiels (ITIE, Principes Volontaires sur la sécurité...), l’entreprise doit rendre compte de ses actions dans le domaine concerné, et les ONG, les États et la société civile seront alors d’autant plus vigilants à ce que ces engagements soient suivis d’actes»


Transparency Counts from EITI International on Vimeo.


Il en ressort que toutes les voies sont bonnes pour faire bouger les lignes: la soft law et les codes de conduites (IETE), la loi pure et dure (Dodd Frank Act, Kimberley Clark) et le plaidoyer de la société civile, à la fois dans les pays riches, où se situent les investisseurs, mais aussi au sein des communautés locales, qui restent les meilleurs observateurs.

Toutefois, le rapport Novethic/Be Linked indique que les principales compagnies pétrolières cotées à Wall Street font aujourd’hui pression sur la SEC et l’administration américaine afin que des dérogations soient autorisées pour certains pays (Angola, Chine, Qatar…).

La peur de certains risques, qui peuvent faire chuter une valeur en bourse (cf. le cas de Vedanta que j’aborderai dans un prochain post), et la pression des ONG, pourraient permettre au secteur minier de combler peu à peu son retard en termes de transparence et d’engagements par rapport au reste de l’industrie. L’implication d’un nombre croissant d’investisseurs pourrait accélérer le mouvement, qui est loin d'avoir gagné la bataille de la transparence.

Pour aller plus loin :

L’étude est téléchargeable ici

Pour compléter le tableau, l’étude propose aussi les points de vue croisés sur le jeu d’influence des parties prenantes, comme celle de Typhaine de Borne (EIRIS), de Catherine Tissot-Colle (ERAMET) et de Sandra Cossart et William Bourdon (Sherpa).

A propos de l’ITIE

L’ITIE (Extractive Industries Transparency Initiative) a été lancée à l’initiative du gouvernement anglais. Elle fédère des États, des entreprises, des investisseurs et des ONG. Elle a publié en 2003 des principes dont la finalité est d’accroître la transparence des paiements et revenus dans le secteur des industries extractives. Les Etats signataires de ces principes s’engagent à rendre publics les montants des revenus liés à l’extraction qu’ils reçoivent, et les entreprises les montants versés afin que les populations locales puissent en avoir connaissance. Elle partage l’objectif de la campagne « Publiez ce que vous payez » que les ONG mènent à destination des entreprises afin de permettre aux citoyens d’exiger des comptes quant à l’usage que leur gouvernement fait de la rente extractive afin de réduire les risques de détournement de fonds et de corruption.

Un grand nombre d'organisations de la société civile à travers le monde se sont engagées envers l'ITIE. La liste ci-dessous n'est pas complète, mais elle fournit des liens vers les organisations et les réseaux les plus importants : Agence catholique pour le développement international (CAFOD), Georgia Revenue Watch et la coalition d'ONG "Pour la transparence des finances publiques", Global Witness Open Society Institute, Coalition Publiez Ce Que Vous Payez, Institut Revenue Watch et Transparency International

L’ITIE a trouvé un prolongement dans Dodd Frank Act, une loi américaine signée le 21 juillet 2010 par le président américain Barack Obama. Celle-ci impose en effet aux compagnies pétrolières, gazières et minières enregistrées auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), de révéler publiquement leurs revenus ainsi que les versements, pays par pays, qu’elles effectuent auprès des gouvernements concernés. http://eiti.org/fr

À propos de ICMM

The International Council on Mining and Metals (Conseil International des Mines et Métaux- ICMM) est une organisation industrielle dirigée par des chefs d’entreprises, qui se penche sur les grandes priorités et les nouveaux enjeux de l’industrie des mines et des métaux. L’ICMM joue un rôle dominant en faisant la promotion des pratiques exemplaires et de l’amélioration du rendement. Il favorise également l’uniformisation des démarches et pratiques de l’industrie par l’entremise de ses sociétés et associations membres, et ce, tant à l’échelle nationale qu’au sein des différents secteurs de produits.

ICMM a pour vision de faire en sorte que l’industrie respectée des mines et des métaux soit vastement reconnue à la fois comme une industrie essentielle à la société et comme un contributeur de premier plan au développement durable. ICMM s’est donné une double mission : faire valoir le rôle que jouent ses membres à titre de leaders de l’industrie, et contribuer à rehausser les normes de rendement dans l’ensemble de l’industrie.

Ses sociétés membres ont officiellement convenu de mettre en œuvre le cadre stratégique de l’ICMM en matière de développement durable, qui comporte trois éléments cruciaux : un ensemble de 10 principes, des exigences relatives aux rapports publics, et des directives concernant la vérification indépendante. En outre, les sociétés membres sont tenues de se conformer aux positions de principe approuvées par l’ICMM relativement à divers grands enjeux.
http://www.icmm.com/


Un dossier de Proparco : Numéro 8 - janvier 2011 - Le secteur minier, un levier de croissance pour l’Afrique ?
Dont le papier de Mark Curtis, université de Strathclyde (Écosse).

L’industrie minière ne contribue pas assez au développement de l’Afrique – quand elle n’appauvrit pas les populations locales et qu’elle ne détruit pas l’environnement. Il faut réformer son régime fiscal en reversant une part des recettes plus importantes aux gouvernements. Il faut aussi rendre la transparence fiscale obligatoire ; les sommes versées par les compagnies minières, les recettes touchées par les gouvernements et les dépenses réalisées doivent être publiées. Enfin, des normes internationales, consolidées par des outils juridiques locaux, pourraient révolutionner la fiscalité du secteur.
http://www.proparco.fr/lang/fr/site/proparco/Accueil_PROPARCO/Publications-Proparco/secteur-prive-et-developpement/Les-derniers-numeros-de-la-revue-secteur-prive-et-developpement/Issue-8

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Depuis le vote du 12 juin 2013 au Parlement européen, les grandes entreprises d'extraction de pétrole, de gaz et de minerais sont contraintes de divulguer l'ensemble des informations relatives aux sommes versées aux gouvernements du monde entier.

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