vendredi 17 février 2012

Ces marques qui veulent se faire des amis durables













Le Dr Antonella Mei-Pochtler, Senior Partner and Managing Director pour le BCG (Boston Consulting Group) à Munich et à Vienne, se demandait en mai 2009 si une marque pouvait être une amie. Le titre de son étude était tout simplement
« Is This Brand a Friend? The Emergence of Citizen Brands as a Missing Link Between Social Responsibility, Growth, and Value”.

Et, elle penchait pour l’affirmative. A plusieurs conditions :
  • que toute l’organisation de l’entreprise inspire confiance.
  • que la marque porte des valeurs d’un bon citoyen corporate.
  • que l’entreprise sache que le consommateur est devenu moins sensible à la publicité et qu’il préfère surfer sur le web 2.0 pour recueillir l’avis de ses pairs.
Autant d’étapes à franchir pour s’adapter au pouvoir collectif des consommateurs acquis grâce à l’interactivité des réseaux sociaux. Et qui ressemblent à ce qu'on peut trouver dans certaines chartes éthiques. Internet, RSE et développement durable se retrouvent ainsi intimement mêlés depuis leurs origines.

Henkel en constituait selon elle un symbole. A tel point que la devise du chimiste à l’époque était «A brand like a friend», même si elle vient de changer pour «Excellence is your passion». Ce slogan novateur n’était acceptable selon elle qu’en raison de l’ancienneté des initiatives citoyenne de la firme allemande.

Même son de cloche en France. Pour Christophe Bonduelle, Président du groupe Bonduelle (Cercle les Echos, 14.11.2001), la donne a changé:
« Pour faire adopter une marque, comme d'ailleurs de plus en plus pour attirer des investisseurs en capital, il faut désormais non pas faire du "green washing", mais bien "montrer patte blanche" : s'appuyer sur des valeurs qui font sens durablement et adopter des comportements exemplaires. Autant d'incorporels que ne traduit aucune comptabilité et qui feront pourtant de plus en plus la vraie valeur des marques et donc des entreprises. Paradoxalement, on finira donc par réconcilier le citoyen et la "création de valeur" ! »
La conversation : une révolution

Dès février 2008, Paolo Landi, Directeur de la publicité monde du groupe Benetton (Stratégies Magazine n°1490) indiquait que le designer avait du s’adapter à
« un consommateur ¬sophistiqué qui attend d'une marque qu'elle intervienne dans le débat social et qu'elle s'engage. ¬Internet, qui a fait du marché un lieu de conversation où l'on parle sans arrêt des marques, y est pour beaucoup. Dans ce contexte, et alors que les produits et les services sont de plus en plus semblables, les marques ont l'obligation d'intervenir dans les débats de société si elles veulent se différencier. »
La multiplication des pages corporate sur Facebook bien sûr, mais aussi maintenant sur Google + et Twitter reflète une volonté du secteur privé de coller aux tendances, de compter ses forces et d’engager un duo avec les consommateurs. Ces derniers peuvent s’exprimer, commenter, partager ou imaginer collectivement de nouveaux produits ou services (Crowdsourcing). La marque doit acquérir étape par étape une sorte de Licence to Talk.

Pour les spécialistes, les marques doivent adopter la bonne attitude face aux réseaux sociaux: faire savoir sans mentir, être transparent, écouter avant de parler, accepter les critiques, se remettre en cause, faire vivre une communauté, adopter un langage adapté,... A ce point de maturité, la page Facebook s’anime et ne ressemble plus à la vitrine d’un grand magasin.

L’attachement se mérite. Il faut savoir se renouveler sans céder aux modes ni verser dans le concours de beauté. Et, la génération de buzz et de coups marketing n’auraient même guère d’incidence à long terme sur le recrutement de fans et de militants. Si les marques ont fait longtemps rêver, elles doivent désormais justifier leur prise de parole. L’improvisation n’est plus de mise. Elles y sont d’ailleurs fortement encouragées.

En effet, les ONG, comme Greenpeace, distribuent les bons et les mauvais points. L’appel au sens de la préférence des consom’acteurs est influencé par le travail de sensibilisation des ONG (cf. Carrotmob et ClimateCounts en annexes) et d’autres groupes de pression (associations de consommateurs, The Yes Men, Anonymous). Autant de parties prenantes qui occupent le terrain, y compris digital.

En croissance incontrôlée et orienté à court terme,
Starbucks a failli perdre son âme


Les amis réunis sur Internet sont des quasi-alliés de la marque et peuvent devenir autant de relais pour une cause d’intérêt général. The North Face constitue une force d’entraînement dans son combat pour infléchir le réchauffement climatique. The North Face proposait en octobre 2009 de télécharger une boite à outil "Call4Climate Toolkit", de contacter les sénateurs, de participer à l’International Day of Climate Action et d’utiliser la fonction "Tell a Friend ».

De même, Starbucks, qui n’hésite pas à demander à ses fans leurs avis, a toujours lancé des campagnes sociales de mobilisation, qui ont fini par tisser des liens. Actuellement, sur sa page Facebook, la chaine de cafés promeut l’association Every Mother Counts et Creating Jobs for USA (déjà 140.500 fans) voir l’article de Challenge : Le patron de Starbucks se voit en sauveur du rêve américain



Et, à vrai dire, lorsque l’alchimie fonctionne, la marque peut compter sur une masse d’adeptes. A ce titre, Starbucks figure depuis longtemps dans le haut du classement des marques favorites sur les réseaux sociaux. Tout semblait pour le mieux dans le meilleur des mondes, avec une progression du chiffre d’affaires consolidé de 2,6 à près de 10,4 milliards de dollars de 2001 à 2008.

Pourtant, pour son fondateur, Howard Schultz, la société pionnière a bien failli perdre son âme (banalisation de son image, dégradation de la qualité de service, trop grand nombre d’ouvertures, mauvaise circulation de l’information en interne, etc.). C’est pourquoi il est revenu aux commandes du groupe en 2008 et a même écrit un livre sur son expérience en mars 2011 à ce sujet (Onward: How Starbucks Fought for Its Life without Losing Its Soul).

Pour redevenir une « enduring company », le spécialiste du café a de nouveau cherché à faire la balance entre le développement profitable et la conscience sociale. Des restructurations ont fait chuter provisoirement ses ventes en 2009, avant qu’elles ne remontent à 12 mds$ l’an passé grâce à un retour aux sources.

Pour acquérir des « amis durables », le secteur privé doit donc inscrire son action dans la durée, garder un cap clair et se montrer patient.

Mais, il peut se révéler aussi utile de bien s’entourer. Starburcks Corp a su attirer Sheryl Sandberg, chief operating officer (COO) de Facebook Inc, à son Board of Directors



Le besoin de renouvellement

Toutes ces raisons expliquent pourquoi les multinationales ne rechignent pas à un bain de jouvence en rachetant certaines pépites à fort goodwill (Stonyfied Farm, The Body Shop, Green & Black's, Innocent, Rachel’s Organic, Ben&Jerry’s) et riches en admirateurs. En ouvrant la voie à un changement d’échelle à des marques engagées.

Les dentifrices Tom's Of Maine, filiale de Colgate Palmolive depuis 2006, affichent d’ailleurs toujours ouvertement leurs valeurs collectives avec le slogan «Together we can be an unstoppable force for good



L’adaptation permanente aux nouveaux besoins se retrouve aussi chez Starbucks, qui a acquis les jus de fruits Evolution pour 30 millions de dollars. Une marque à fort potentiel. Dans un article du 15/11/2011, Laurence Girard du Monde note que cette diversification apporte « une dimension santé et bien-être, prisée des consommateurs. Un apport d'autant plus précieux que certains nutritionnistes n'ont pas manqué de pointer le côté hypercalorique des breuvages gorgés de crème et de sirop distribués dans les cafés Starbucks

D’autres acteurs ont émergé ces dernières années, les marques pionnières n’ayant plus le monopole du cœur. Certaines multinationales jouent à leur tour les poissons pilotes. Je pense en particulier à celles qui s’engagent dans de nouveaux modèles à la base de la pyramide (Bop) comme Danone.

Ou qui développent des communautés sur des causes d’intérêt général. L’incubateur de «social businesses» Danone Communities dispose ainsi de 2.054 followers et de 14.531 fans sur Facebook (soit plus de Danone France, qui rassemble 11.839 fans).

Mais, il faut de la constance, ce qui est parfois difficile quand on publie des comptes trimestriels pour les marchés financiers. La réorientation récente de PepsiCo sur le junk food en 2012, après avoir fait la promotion de produits plus nutritionnels, a été très diversement appréciée.

Un besoin de transparence pas toujours satisfait

Quand l'émotionnel joue un rôle déterminant dans l'acte d'achat, comme pour les limonades Bionade, les marques pionnières doivent cultiver leur pré carré pour ne pas se dévoyer. Et, une expertise sur le social media ne peut pas inverser facilement un changement de perception.

Le risque de perte de consistance explique peut être que des journalistes se soient amusés à pointer du doigt le manque de transparence de certaines grandes firmes. Un article du Guardian du 25 janvier 2011, intitulé «Consumers 'ignorant' of multinational names behind ethical brands» mettait en évidence que le lien de parenté entre de nombreuses firmes éthiques populaires, dont le capital a été cédé par ses fondateurs, et leurs nouveaux actionnaires.

71% des amateurs de Seeds of Change associent la marque à la responsabilité environnementale, contre seulement 15% pour sa société mère, le géant de la confiserie Mars…

Selon le Guardian, les liens capitalistiques entre mères et filles restent souvent méconnus du grand public, qui pourrait se sentir trahis. Les acquéreurs aux poches pleines avanceraient masqués de peur de casser leurs nouveaux jouets. Peut être par ce que le «discours citoyen» doit être motivé en permanence et que c’est plus difficile d’avancer sur tous les fronts dans un groupe multinational et multimarques.

Une entreprise de taille moyenne doit faire face à moins de parties prenantes. Et prêtent sans doute moins le flanc aux contradictions.

La nécessité d’acteurs impartiaux

Invité par le Beesday fin 2011 pour s’exprimer devant des blogueurs sur la sensibilisation au développement durable, Gilbert Bonnel rappelle que la communication responsable et le web 2.0 ont émergé au même moment. Il estime qu’à terme la fonction de community manager sera de plus en plus externalisée afin d’assurer le rôle de «tiers de confiance».

Cet expert de la communication responsable est bien placé pour commenter les dernières évolutions sur la Toile, puisqu’il est Président de l'agence Sidièse, Président de la Commission Développement Durable de l'AACC (Association des Agences-Conseils en Communication) et membre du collectif Adwiser.

Loger le « community manager » près de Dieu, au siège social de la marque, viserait souvent à verrouiller la communication face à une interactivité foisonnante, donc quelque peu inquiétante.

Les « tiers de confiance » seraient ainsi les plus à même de dissiper les doutes, voire la suspicion, face à ce qui peut paraître sinon comme des allégations pures et simples.

Pour Gilbert Bonnel, l’Ademe répond parfaitement en France aux besoins de ses parties prenantes quant à une information digne de confiance dans le domaine environnemental.

Pour aller plus loin :


Sur ce blog : 100 millions de fans plébiscitent 150 marques pionnières sur Facebook. 05/12/2011
http://ong-entreprise.blogspot.com/2011/12/100-millions-de-fans-plebiscitent-150_05.html

Sur ce blog : Les associations tentent d’apprivoiser les réseaux sociaux. 05/05/2011
http://ong-entreprise.blogspot.com/2011/05/les-associations-tentent-dapprivoiser.html

En novembre 2010, une étude de Millward Brown préconisait 10 moyens pour une marque d’agir comme un ami.

Sur le secteur du luxe et de la mode, qui se porte bien malgré la crise, lire « Privilégiez-vous les marques qui s'engagent ? » par Isabelle Willot, publié le 07/12/2011 L’Express.
http://www.lexpress.fr/styles/mode/privilegiez-vous-les-marques-qui-s-engagent_1058423.html

Voir l’article d’Alain Delcayre, « Marques privées et débat public »,
Information traitée le 28.02.2008 dans Stratégies Magazine n°1490 avec le témoignage de Paolo Landi (Benetton).
http://www.strategies.fr/articles/r47606W/marques-privees-et-debat-public.html

Les Fans Facebook : une richesse pour l’entreprise par Philippe Guilbert. Cercle Les Echos. 13.12.2011
Coca-Cola a 36 millions de Fans Facebook, presqu'autant que Lady Gaga ! Les groupes Fans sont devenus des outils stratégiques pour la communication, le marketing et les études de marché.
http://lecercle.lesechos.fr/entrepreneur/internet/221141218/fans-facebook-richesse-entreprise

Qui se cachent derrière certaines marques militantes ?

Le quotidien Britannique The Guardian s’est amusé le 25 janvier 2011 à donner un coup de projecteurs aux entreprises citoyennes historiques tombées discrètement dans l’escarcelle des grands groupes : « Consumers 'ignorant' of multinational names behind ethical brands » :
Survey finds consumers feel misled, and believe companies should be clearer about ownership by corporate parents
http://www.guardian.co.uk/environment/2011/jan/25/consumers-multinationals-ethical-brands

Quiz: Who owns which ethical brand?
http://www.guardian.co.uk/environment/quiz/2011/jan/25/which-ethical-brand


Foisonnement d’initiatives citoyennes


De nouvelles initiatives viennent de voir le jour. Florian Guillaume de l’association C.A.R.R.O.T a présenté en décembre dernier aux Beesday les premiers retours d’expérience d’une initiative américaine récemment arrivée en France.

Le principe est simple. Les bénévoles de Carrotmob (Vote with your Money, présent en France à Rennes). font venir de nombreux consommateurs dans un lieu marchand pendant un jour, contre quoi le commerçant s’engage à utiliser les bénéfices pour rénover écologiquement son établissement. Cette nouvelle association, qui joue un rôle incitatif, attire la foule par les réseaux sociaux. Elle compte 14.000 fans aux Etats-Unis et 390 en France.

Carrotmob Rennes 3/3 from Carrotmob Rennes on Vimeo.



Dans la même volonté d’impliquer le consommateur, une association américaine a opté pour un outil ludique et techno. C'est ClimateCounts.org . Cette ONG compte 5.300 fans sur Facebook.




La tentation de manipuler les débats

Les marques ont-elles noyauté les forums "conso" sur Internet ? Atlantico. 8.12.2011
Expedia, Hotels.com et Tripadvisor sont actuellement en procès pour des informations trompeuses qu'ils auraient publiées sur leurs sites respectifs. Les forums "conso" seraient truffés d'agents payés par les marques pour diffuser des avis positifs sur leurs produits. Dès lors, est-il encore possible de trouver des informations désintéressées sur le web ?

http://www.atlantico.fr/decryptage/conso-informations-fiables-e-commerce-forums-internet-marketing-138736.html

Selon Coupsdepub, Orangina aurait trompé ses fans sur Facebook 14.02.2012
http://www.coupsdepub.com/orangina-trompe-ses-fans-sur-facebook/

Quand une marque devient une telle icône qu'elle ne s’appartient plus. Atlantico. 8.12.2011
Que ce soit Gap, Ikea ou Coca-Cola, les grandes entreprises ne sont plus les seules à décider de leur image de marque. Leurs consommateurs n'aiment pas le changement, et ils le font savoir. Quand trop de marketing tue le marketing...

http://www.atlantico.fr/decryptage/marque-devient-icone-perd-controle-destin-coca-cola-pepsi-gap-ikea-237039.html

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